Workshop de cartographie sensible de l’Ile de Nantes
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26 août 2020

Atelier de formation professionnelle au diagnostic sensible

Compte-rendu et synthèse d’un atelier d’initiation de professionnels de l’habitat à cartographie sensible réalisé le 19 Juin 2019 dans le quartier de la gare de l’Est à Paris, dans le cadre des Rencontres 2019 du Forum des Politiques de l’Habitat Privé.
Présentation de mon travail, réalisée par Véronique Guillaumin, DG du Forum.

 

1- Préparation de l’atelier

Pour cet atelier d’initiation à la pratique de la cartographie sensible aux participant.e.s intéressés, la contrainte majeure était celle du temps puisque les ateliers ne devaient pas dépasser 1h15 comprenant à la fois une exploration de terrain et un temps d’échange et d’esquisse de synthèse en salle.

Nous avons imaginé un déroulé autour de 4 thématiques: aimé/non aimé, les 5 sens, les usages (existants et potentiels) et l‘imaginaire (maintenant et au futur).

Compte tenu des délais impartis et de mon expérience d’organisation d’ateliers de cartographie sensible (voir ICI à Bordeaux avec des enfants ou LA à Nantes avec des professionnels et étudiant.e.s), il est apparu que nous pourrions passer 10 minutes par site sur 3 sites différents.

Une des clés de la réussite de l’atelier était la scénarisation de son déroulement, avec un séquençage précis, efficace et surtout qui mette en perspective et en relation les différents sites parcourus.

Étant donné que le public du Forum est constitué de professionnels de l’habitat privé, il fallait choisir des sites qui pourraient faire écho à des situations urbaines typiques de quartiers d’habitation mais aussi des sites qui soient riches de contrastes sensoriels afin d’en faciliter la lecture et la compréhension. Nous avons pensé emmener les visiteurs sur 3 sites; un site en relation avec le parvis de la gare de l’Est, un site en pied d’immeuble et un site en relation avec un jardin.

Au cours d’une visite de repérage effectuée quelques jours avant l’atelier, il est apparu que les rues adjacentes à la Fabrique Évènementielle (rue des Vinaigriers à Paris) étaient riches d’ambiances diversifiées et originales. Le choix s’est porté sur 3 lieux situés chacun à 1’30 de marche lente les uns des autres.

Les 3 sites peuvent être considérés comme des espaces publics transitionnels, au sens où ils sont tous à l’interface de deux systèmes, chacun illustrant une typologie caractéristique des quartiers d’habitation.

Site 1: interface entre un parc et une rue, configuration spatiale semi-fermée. En bordure du Boulevard de Magenta, à l’entrée du Square Saint-Laurent.

Site 2: interface entre une place et un espace de stationnement vélos/scooters, configuration spatiale ouverte. Place Madeleine Braun (face au parvis de la Gare de l’Est).

Site 3: interface entre un espace commun et un immeuble de logements, configuration spatiale enclavée. Passage des Récollets, en face de l’école maternelle du même nom.

 

2- Déroulement de l’atelier

Deux ateliers ont été organisés. Un le matin avec une vingtaine de personnes, un l’après-midi avec une dizaine de personnes. Chaque atelier a été pensé en deux temps; un temps de collecte des informations sur site, puis un temps de confrontation des points de vue.

Dans les deux cas nous sommes partis de la Fabrique Evenementielle (NB: lieu des Rencontres 2019) après avoir réparti les participant.e.s en binômes équipés chacun d’un support d’analyse conçu au préalable.

Recto du support d’analyse:

Verso du support d’analyse:

 

SITE n°1

(interface parc/rue, en bordure du Boulevard de Magenta)

 

SITE n°2

(interface place/stationnement, Place Madeleine Braun)

 

SITE n°3

(interface espace commun/immeuble de logements, Passage des Récollets)

 

3- Analyse des données récoltées

Au delà même de l’analyse des données que nous proposons ici, l’atelier de cartographie sensible est potentiellement une « expérience en soi », notamment une expérience de conscientisation de ses sens et de ses ressentis. Évidemment, l’atelier peut aussi être organisé à des fins utilitaristes afin de diagnostiquer l’espace dans son épaisseur sensible. Il peut être reproduit dans toutes situations et échelles urbaines et territoriales.

Via l’exploitation des fiches d’analyses remplies par les 18 participant.e.s (13 femmes et 5 hommes) répartis en 9 binômes, les données ont dans un premier temps été numérisées, c’est à dire retranscrites dans un tableur, puis analysées, le cas échéant via un traitement statistique d’objectivation des données sensibles recueillies.

Note: Autant l’atelier peut être assez rapide à organiser, autant l’exploitation des données prend un temps beaucoup plus conséquent.

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A- Analyse sensible multi-dimensionnelle du site 1

1- Aimé/Non aimé

Une première spatialisation des éléments renseignés comme aimés ou non aimés par les participant.e.s nous donne cette carte là:

Les éléments principalement aimés sont « le jardin qui met en valeur le patrimoine », le fait que l’on « voit à travers » la grille entre la rue et le square ou encore la « capacité à s’assoir (pause urbaine) » qu’offre le muret qui supporte la grille du parc.

Inversement les éléments cités comme non aimés sont très liés aux « bruits de la circulation » et notamment les « sirènes police/pompiers » mais aussi à la barrière qui « empêche le regard » et le manque de « continuité/transition entre les lieux » (situés de part et d’autre de la barrière).

En classant les éléments relevés par les participant.e.s par typologies et en les ordonnant par récurrence, nous pouvons voir apparaître le motif suivant:

Ainsi, ce qui est relevé comme aimé est lié de manière assez équivalente aux ambiances (ex: « paysage urbain lié à l’église »), à la configuration physique du site (ex: « espace visuel, champ large ») et au caractère végétal du lieu (ex: « végétal qui retombe »).

En revanche les éléments relevés comme non aimés sont majoritairement liés aux 5 sens (ex: « sons et sirènes liés à la circulation ») et dans une moindre mesure à la gestion du site (ex: « usages conflictuels, voie vélo dangereuse ») et aux ambiances (ex: « revêtement triste au sol »).

2- Les 5 sens

Nous avons ici aggloméré les notes attribuées par les participant.e.s à l’intensité perçue de chacun des 5 sens:

Goût: 0,8/5
Toucher: 2,5/5
Odorat: 3,1/5
Ouïe: 4,9/5
Vue: 4,7/5

L’analyse du Goût est rarement renseignée.

On constate une forte créativité et des variations entre les groupes au niveau des qualificatifs associés au Toucher (ex: « écorce », « herbe », « métal », « vent »)

Au niveau de l’Odorat, les commentaires sont peu variés et redondants, principalement centrés sur la « pollution » ou « les fleurs », certain.e.s indiquant que « ça sent la ville ».

Concernant l’Ouïe, un seul qualificatif est généralement employé (ex: « saturé »).

Signe d’une prédominance reconnue de ce sens sur les autres, les commentaires concernant la Vue sont les plus nombreux. Ils sont également précis et multiples mais très semblables entre les groupes, par exemple le « contraste végétal/minéral » ou encore la présence « d’axes ouverts ».

3- Les usages

Les usages existants constatés le plus généralement sont les suivants; « bancs », « jeux », « se poser »/ »méditer » et « lieu de circulation de piétons, vélos et voitures ». Cependant, les groupes ont relevé ou pensé à des usages existants assez diversifiés et hétéroclites comme « prendre une photo », « sentir une fleur » ou « marcher vite ».

On peut noter plusieurs redondances d’usages potentiels; un usage alimentaire (« jardin partagé » ou « cerisier »), l’utilisation du « muret pour s’assoir » et un usage de « manifestations/rassemblements ».

Les usages potentiels sont plus encore diversifiés que les usages existants et rejoignent quelque peu les relevés liés à l’imaginaire, comme par exemple l’idée d' »affichage/exposition sur les grilles » qui se retrouve dans les deux catégories et suggère l’idée de faire de la grille du parc une interface active.

4- L’imaginaire

A contrario des analyses portant sur les sens et leur intensité qui sont assez consensuelles, les données récoltées portant sur la question des imaginaires semblent caractérisées par une forte variabilité. En effet chacun.e y projette sa propre lecture de la ville, nous pourrions même dire de la vie… Les cosmogonies (formes de représentations du monde) individuelles font écho à l’unicité culturelle de chacun.e, due notamment à sa culture professionnelle et certainement à sa vie personnelle.

Maintenant

Le site est vu tour à tour par différents groupes comme;

– un « cocon » / une « frontière » / une « respiration »
– une « oasis » / une « cohabitation contre nature » / des « flux »
– la « frontière d’un autre monde » / « l’abordage d’un bateau pirate »

Au futur (50 ans)

– un « parc plus moderne » / une « église rénovée » / une « circulation plus douce »
– un « lieu sans voitures » / « apaisé »
– « Paris piéton » / un « circuit en voiture autonome avec usage ponctuel »
– le « parc qui déborde »
– une « transition douce » / une « soirée guinguette »
– un « lieu plus ouvert, paysager » / une « transition douce »
– une « jungle urbaine » / « plus de barrière autre que végétale » / « colonisation de l’espace vert sur l’urbain »

Voilà en somme un bon cahier des charges pour les futurs concepteurs d’une potentielle rénovation du site !

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B- Analyse sensorielle multi-sites

Nous avons ici effectué une moyenne des notes attribuées par chaque groupe par site et pour chaque sens.

Comparaisons des sites entre eux:

En agglomérant les 5 sens pour chaque site, le numéro 1 est le plus « sensoriel » avec une note globale de 3,2/5 d’intensité sensorielle, suivi du site numéro 2 avec 3/5 d’intensité sensorielle et 2,9/5 pour le site numéro 3.

Comparaison des sens entre eux:

Nous remarquons que l’Ouïe et la Vue sont classés respectivement n°1 et n°2 en intensité sensorielle perçue sur les sites 1 et 2.

Tandis que dans le site 3, l’ordre s’inverse avec un classement de la Vue en numéro 1.

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Conclusion

Cet atelier de cartographie sensible a permis d’explorer de nouvelles pistes méthodologiques de prise en compte des ressentis issus d’une expérience contrôlée de la pratique d’un territoire.

Les questions posées peuvent être adressées aussi bien à des professionnels qu’à des habitant.e.s d’un quartier ou encore à des catégories spécifiques de la population comme des enfants, des personnes déficientes physiquement ou mentalement, des personnes âgées ou encore des touristes.

Les analyses issues de ce type de diagnostic sensible pourront évidemment alimenter et conditionner de futurs cahiers des charges de conception des espaces publics en phase avec les ressentis de leurs usagers.

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