Texte écrit le 14 février 2015, à la suite des attentats du mois de janvier, sous forme d’une réflexion ouverte sur le métier d’urbaniste et publié dans la revue IACTU (n°2), éditée par U-Topos, l’association des étudiants de l’institut d’urbanisme de Bordeaux (IATU).
Un drôle de métier que celui de « fabriquant de ville ». Cette femme ou cet homme doit concilier, et si possible harmonieusement, un espace géographique et la société qui y vit. Comment articuler l’unique (urbain) et le multiple (humain). Après quelques centaines d’années de mise en application d’une doctrine universaliste qui cherche à effacer les particularismes, à gommer les différences au profit d’un idéal supposé commun, pouvons-nous en 2015 questionner les conséquences de cette vision du monde supposément libératrice ?
En effet, les recherches contemporaines dans les domaines tels que de la science cognitive ou la psychologie environnementale nous ont réappris que les êtres humains ne sont pas identiques, que nous ne sommes pas des automates destinés à vivre dans des « machines à habiter, et que nous ne sommes pas des êtres rationnels, n’en déplaise aux premiers théoriciens de l’économie moderne. Nous sommes bien des êtres émotionnels, sensibles à notre environnement !
Ceci étant posé, nous pouvons considérer les habitants d’un lieu comme des entités ayant des besoins individuels et collectifs, d’ordre fonctionnels aussi bien que d’ordre imaginaires ou symboliques. Tout comme l’arbre, son semblable vivant, l’être humain et en particulier l’être urbain a besoin de racines culturelles. Il est alors du devoir de l’aménageur de la ville de prendre en compte cette diversité qui s’exprime en son sein. La mosaïque d’habitants qui compose une métropole contemporaine produit de fait un métissage qu’il est du devoir de l’urbaniste de prendre en compte. L’aménagement de l’espace doit ainsi refléter les singularités culturelles des sites et de leurs habitants tout en garantissant une cohérence d’ensemble. Cependant, cette cohérence ne doit pas prendre le pas sur la diversité, au risque de lisser le territoire et au delà de briser l’invisible, à savoir l’imaginaire de ses habitants.
Un exemple significatif à l’échelle d’un espace public est celui du parc Superkilen (encore) à Copenhague. La spécificité de ce projet est d’utiliser sur un même espace « différentes gammes de mobiliers urbains issues d’une multitude de pays et d’usagers » […] « représentant la diversité culturelle des populations qui habitent la ville », au lieu de « perpétuer une image pétrifiée (d’un Danemark homogène). A l’opposé d’une habitude conformiste qui consiste à lisser l’aménagement, les auteurs du projet ont privilégié ici la diversité. L’effet produit est l’expression physique d’une diversité de communautés culturelles, dans laquelle chacun peut se projeter et dès lors s’identifier à la ville en fabrication.
La fameuse devise républicaine pourrait se transcrire en urbanisme de la manière suivante; la liberté doit s’exprimer dans le traitement de nos environnements, dans l’égalité des moyens mis en œuvre pour la fabrication d’un cadre de vie favorable à tous, engendrant alors une diversité de milieux favorables à l’épanouissement de chacun.
Quentin Lefèvre
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1 http://www.scienceshumaines.com/irrationnels-mais-previsibles_fr_26951.html
2 http://projets-architecte-urbanisme.fr/superliken-copenhague-big-espace-public-utopie-insolite/
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